mardi 16 septembre 2003

Premier album (2003)


  1. Ils cueillent des jonquilles 
  2. Avant tout, I want you
  3. Elle aime (en duo avec Feist)
  4. Ton pommier
  5. Tu es là
  6. Patricia (en duo avec Alain Souchon)
  7. Quand j'aurai du temps
  8. Délice
  9. Cigare
  10. Du bon côté
  11. Les Piranhas
  12. Amour, amitié
EMI/Virgin - Éditions BMG/Universal


Photo David Zacharias
Graphisme TDM
Réalisé par Renaud Letang et Albin de la Simone
Enregistré et mixé par Renaud Letang à Ferber
Avec Fabrice Moreau (batterie), Julien Chirol (trombone, arrgt de cuivres), Laurent Vernerey (basse), Matthieu Chedid (banjo)...

mercredi 3 septembre 2003

Premier album - livret complet

Avant tout, I want you


D'abord, je le devine, vous vous refuserez
à céder comme celles en qui je suis passé.
Parce que pendant des mois, défiant votre méfiance,
je m'offrirai fidèle, aimant à vous polir,
Je vous épouserai, et là, pendant la noce,
mon regard sur vos charmes s'éteindra à jamais.

Seulement voilà, Je vous veux,
avant tout, I want you.
Oui, voilà, je vous veux,
Et je vous aurai.

Alors qu'une fois de plus, je vous laisserai seule,
votre regard curieux échouera malgré lui
dans le tiroir secret de notre secrétaire.
Vous trouverez des lettres au parfum étranger,
écrites à l'encre mauve, couvertes de baisers.

Seulement voilà, je vous veux,
avant tout, I want you.
Oui voilà, je vous veux.
Et je vous aurai.

Mais puisque vous savez qu'aucun homme, jamais plus,
ne vous regardera comme si vous étiez jeune,
Vous me voudrez aussi. Et me supporterez.

Seulement voilà, je vous veux,
avant tout, I want you.
Oui voilà, je vous veux.
Seulement voilà, je vous veux,
avant tout, I want you.
Oui voilà, je vous veux.

Et je vous aurai.



Elle aime en duo avec Feist


Elle aime les films hongrois sous-titrés en tchèque, 
Bach, Repac, Bartok, et l’opéra chinois. 
Les culottes en velours, les vapeurs de gasoil, 
le civet de bulot et les œufs de cent jours. 

Et c'est moi qu'elle aime...

Il aime les joues de dinde, les restaurants anglais, 
la mythologie suisse et l’odeur des bébés. 
Les orchestres de bal, le kiwi au Maroilles, 
les mélopées pépères et les films de bègues. 

Et c'est moi qu'elle aime...

Elle aime le cri des poux et le lait faisandé, 
les tipis et les gnoux, le chlore et la mélasse. 
Elle chérit un hibou, elle dépèce des taupes, 
vénère les papous et les kangourous myopes.

Et c'est moi qu'elle aime...

J’ai beau chercher partout en moi, c’est un mystère. 
Je ne me sens pas gnou ni kangourou pépère, 
ni papou ni bulot ni bébé au Maroilles. 
Absolument jamais tchèque, hibou ni tchik-tchik.




Ton pommier


Dans le train qui me ramène 
en urgence à la maison, 
je repense à ton pommier, 
à son écorce blanchie, 
au cidre amer. 

Puis je l'imagine tel 
qu'on me l'a décrit ce matin. 
Couché, mort dans l'herbe rase, 
noir, sec et racorni. 
Abattu pour l'exemple. 

Les pommiers ne sont pas faits 
pour qu'on s'y pende.

J'imagine la longue branche 
qui ressemblait à un bras d'ogre, 
celle qui me faisait peur. 
Je l'imagine tronçonnée, 
débitée en bûches. 

Le regard dans la nature 
qui glisse comme sur des rails, 
j'imagine celle des bûches, 
celle qui portait le garrot. 
Un garrot sur un bras d'ogre.

Les pommiers ne sont pas faits 
pour qu'on s'y pende.

Dans le train qui me ramène 
en urgence à la maison, 
je repense à l'arbre et toi. 
Une question me martèle. 
Lequel de vous deux 
s'est pendu à l'autre ?



Ils cueillent des jonquilles


Bottés, cagoulés et gantés, 
au loin dans le vert de la Somme,
deux silhouettes  multicolores
avancent en zig-zaguant
Elle a huit ans, il en a cinq,
de vrais bijoux d'indépendance.
Mais leur présence là-bas au loin
n’arrête plus l’intolérance 

Ils cueillent des jonquilles.

Riant en dévalant la pente,
glanant crocus et perce-neiges,
les deux lutins font une offrande
aux deux ennemis qui les protègent.
Et dans leur candeur, ils l’ignorent,
ces jonquilles n’adouciront pas
les orties et les chardons qui,
en vingt ans, ont poussé sans bruit.

Ils cueillent des jonquilles.
Ils cueillent des jonquilles.

Et c’est tant mieux, car sous ce toit, 
on commence à payer le prix
d’une alliance de gala,
d’un diamant de verre poli.

Ils cueillent des jonquilles.

Et c'est tant mieux, car sous ce toit,
on rêve dans un silence étanche
de fuir au bras d'une vie nouvelle
ce matelas de verre pilé.

Ils cueillent des jonquilles.
Ils cueillent des jonquilles.



Tu es là


J'ai mangé 310 crevettes, 
planté des clous dans mes mollets. 
Re-mangé 80 crevettes, 
rongé l'éponge, fumé l'évier. 
J'ai descendu 126 marches 
sur un pied et puis sur le dos. 
Me suis gazé, coupé le nez, 
ça pique, mais c'est pas grave 

car tu es là, tu me regardes et me souris. 
Oui tu es là, la vie est belle et m'éblouit.

Je me suis rasé les sourcils, 
enfin, un seul car c'était moche. 
Bu des godets de beurre fondu, 
tricoté un pull de six mètres. 
J'ai pris des cachets pour dormir, 
fait du café avec du Mir. 
Éteint des bougies à la langue, 
ça pique, mais c'est pas grave 

car tu es là, tu me regardes et me souris. 
Oui tu es là, la vie est belle et m'éblouit. 

J’ai mis du chlore dans mes lentille, 
puis j'ai prisé la chapelure. 
J'ai sodomisé des baleines, 
dégobillé 110 crevettes. 
Crucifié mon chien à ton chat, 
fait des frisettes au paillasson. 
Gravé des CD sur mes joues, 
ça gratte, mais c'est pas grave 

car tu es là, tu me regardes et me souris. 
Oui tu es là, la vie est belle et m'éblouit. 

Cha-na-na, na-ta. Cha-na-na, na-ta...


Patricia en duo avec Alain Souchon


Au cinquantième étage de la tour Eiffel,
Elle aligne sur un bar de savoureux cocktails.
Elle sourit à l’envi, elle est payée pour ça,
Mais son âme navigue à deux cent lieues de là.

Patricia est éprise d’un vieux chanteur KO
Un chanteur enclumé par l’aigreur et l’égo.
Un dandy de cent ans noyé dans la démence
Qui du fond de son lit fait d’elle une princesse.

Patricia
Mon chihuahua

Au cinquantième étage de la tour Eiffel,
Elle accomplit sa tâche d’un élan mécanique.
Pourtant quand lui reviennent les mots doux du vieil homme,
Elle pousse un petit cri et tombe dans les pommes.

Patricia ma bergère, tu sais que je suis cuit.
Partons en Angleterre, gobons des œufs de pie.
Dansons le fandango au sommet du grand foc,
L’amour Gault & Millau, la tournée des paddocks.

Patricia
Tu es mon lapin-chat, Patricia
Ne t'énerve pas.

Au trente-sixième dessous de la tour Eiffel,
J’attends que le vieux schnock passe à la poubelle.
Alors, enfin, peut-être, la Patricia que j’aime
Descendra du grand foc pour tenter le grand schlemm.

Patricia
Patricia

Quand j'aurai du temps


Quand j'aurai du temps, 
quand je serai libre,
écumerons-nous les grandes vitrines ?
Emplissant des sacs de choses inutiles,
emplissant nos yeux d'un bonheur facile.

Quand j'aurai du temps, 
je relirai nos mails,
j'exhumerai ému des tonnes de merveilles
Je me souviendrai du temps regretté
où d'un trait de bic je te faisais rire

Attend encore un peu
le calme se dessine.
Attend encore un peu.

Quand j'aurai du temps,
on ira courir
mouillés dans le vent, sans craindre le pire.
Alors enrhumés, on s'enfermera,
on boira du thé, on copulera.

Quand j'aurai du temps,
nous élèverons
des hordes d'enfants heureux et joueurs.
Les jouets, les ballons les parties de quilles
nous détourneront du feu qui nous grille.

Attend encore un peu
le calme se dessine.
Attend encore un peu.

Quand j'aurai du temps,
je l'ai toujours dit,
quand j'aurai du temps, 
tu seras partie.
Délice

Au fond d’une eau verte et huileuse, 
elle danse, pour moi, et se caresse. 
Sous ses six doigts, la peau mielleuse 
de ses nageoires ondule doucement.

En suspension dans le liquide, 
son improbable corps s’enroule, 
me dévoilant, d’un flanc sublime, 
l’émouvante gamme d’organes.

Mille nervures texturent 
muqueuse, chitine et mousse. 
Nimbée de son encre, la délicieuse 
joue de ses langues nodulées.

Pacha transi, je la regarde 
oindre mes bourgeons d’onguent. 
Mon corps feuillu est en émoi. 
Je suis prêt à mourir.


Cigare


Pire que tout, la perte de mon dard,
l'humiliation de le voir
se décrocher sans crier gare.

Il a fui sa moustache natale,
l'aventurier de mes deux,
m'abandonnant à demi mâle.

Reviens à moi
Reviens à moi

Pire, hanté par son absence,
en trois quarts d'heure le mardi soir,
j'essaie de trouver mon cigare.

Boum, le bruit de sa chute
dans la blancheur de l'émail
me reviennent enfin en mémoire

Reviens à moi
Reviens à moi

Shlak, ma propre image me parvient
un long couteau dans une main
et dans l'autre mon cigare mort.



Du bon côté


Approche-toi, prend-moi la main, 
ou bien je te tords les poignets.
Je vais te faire un grand câlin 
et jeter mes coudes sur ton nez.

Fais-moi confiance, approche encore
je ne te ferai presque pas mal.
Lorsque ton bras se cassera,
tu seras déjà assommée

C’était prévu, tu m’avais dit,
ce soir, on change de côté.
Mais en te couchant dans le lit,
tu n’as pas daigné y penser

Mon dos moulu accuse le coup
d’une nuit de trop sur la bosse,
je suis flapi, je dors debout,
mais j’ai pour toi quelques projets atroces.

Réveille-toi, ouvre les yeux
car bientôt tu n’en auras plus.
Claque des dents tant que tu peux,
car une à une je les scierai.

C’était prévu, tu m’avais dit,
ce soir, on change de côté.
Mais en te couchant dans le lit,
tu n’as pas daigné y penser

Je vais te faire gober la couette
et transformer ta tête en casque.
Te faire entendre à coup de masse
que ce soir, je dors du bon côté.

Ce soir, on change de côté
Ce soir, on change de côté




Les piranhas


Mon Amour, il y a des piranhas
dans notre appartement.
Je le sais depuis hier matin, 
tu venais de partir.
J'en ai vu un dans le lavabo
et deux derrière le lit,
puis encore un caché dans les disques,
qui finissait ma jambe, 
et un autre, ivre, qui dégueulait
sous la table à langer.

As-tu bien caché les clés ?
Par où sont-ils passés ?

Mon trésor, est-ce que les piranhas
peuvent mesurer un mètre ?
Je crois bien qu'il y en a un géant
qui joue dans le piano.
Bien sûr toi, quand tu rentres le soir,
ce n'est pas le moment.
Oui mais moi, les piranhas sont là,
et je peux pas sortir.

As-tu bien caché les clés ?
Comment sont-ils entrés ?

Mon Amour, oh, toi tu me connais.
Saigon, soixante-neuf.
Les problèmes, moi, je sais les régler.
Les étouffer dans l'œuf.
Si ce soir, tu retrouves cette lettre,
rescapée du napalm…
Tu comprends, c'était plus supportable,
Les piranhas…

As-tu bien caché les clés ?
Qui les a invités ?
Leur as-tu donné les clés ?



Amour amitié


Mais elle a eu un seul amant
Et ne se souvient plus du tout
Du goût du baiser dans le cou
Elle me demande de l'embrasser
Je ne sais plus si c'est déplacé
Et je suis bien embarrassé
Même juste comme ça un baiser

Amour amitié
Je ne sais pas si par dépit ou par pitié
Je franchirai cet océan
Qui va de l'ami à l'amant

Il fait très chaud depuis une heure
Mais elle a gardé son manteau
De peur que je lui voie la peau
Ce qu'elle demande est redoutable
Car parfois la bouche est capable
De faire frissonner et bien plus
Cela elle ne s'en souvient plus

Amour amitié
Je ne sais pas si par dépit ou par pitié
Je franchirai cet océan
Qui va de l'ami à l'amant

Mais elle a eu un seul amant
Et ne se souvient pas encore 
Du corps qui se plie et se tord
Si elle a oublié les gestes de cet amour raté du reste 
Elle se souvient par ailleurs
Du coup de couteau dans le cœur

Amour amitié
Je ne sais pas si par dépit ou par pitié
Je franchirai cet océan
Qui va de l'ami à l'amant
Qui va de l'ami à l'amant 







Albin de la Simone
voix, claviers, guitares, basses et percussions
Fabrice Moreau
batterie
Laurent Vernerey
basse sur Du bon côté
Matthieu Chédid
banjo et basse sur Ton Pommier
Julien Chirol
trombone sur Ils cueillent des Jonquilles et Quand j'aurai du temps
Fred Couderc
c.melody, sax barython et clarinette sur Ils cueillent des Jonquilles et Quand j'aurai du temps
Michel Feugère
trompette sur Ils cueillent des Jonquilles et Quand j'aurai du temps

Paroles et musiques : Albin de la Simone
Sauf Amour, Amitié : Pierre Vassiliu (éditions BMG publishing)

Arrangements : Albin de la Simone
Sauf arrangement des cuivres et anches sur Ils cueillent des Jonquilles et Quand j'aurai du temps: Julien Chirol.
Enregistrement: Renaud Letang assisté de Thomas Moulin aux Studios Ferber.
Pré-production enregistrée par Albin de la Simone aux studios Salmon (Pornic), La Cave de Nogent, PKB, Grand JEJ et dans des hôtels (en tournée).
Mixage: Renaud Letang assisté de Thomas Moulin aux Studios Ferber.
Mastering: Mandy Parnell aux studios The Exchange
Réalisation : Renaud Letang & Albin de la Simone




Entre les premières maquettes et l'album fini, beaucoup de personnes m'ont aidé…
Merci frénétique
Mathieu Boogaerts, Lambert Boudier, Cédric de La Chapelle, Leslie Feist, Alan Gac, Philippe Gandilhon, Jérôme Goldet, Loumi Kawai, Renaud Letang, Fabrice Moreau, Jipé Nataf, Alain Souchon et Alix Turrettini.
Merci énergique
Colonel Artaud, Max-Pol Albert, J.L. Aubert, Mathieu Ballet, Bataille-Plus, Sonia Bricout, Régis Ceccarelli, Matthieu Chédid et Céline B, Laurent Chapeau, Julien Chirol, Pascalou Colomb, Laetitia Constantin, Françoise Deschamps, les petits Desj, Benjamindemeyere.be, Cynthia, Alex et Cerise, Denel Tropical, Clara Finster et Jean-Sam, Fixi, Jean-Christophe de Ferberec, Laurence Fumet, Gonzales, Madame Hartemann, Mario Ishikawa, Tew Kochmann, Marvin Kotemski, Jérôme Labory, Dominique Ledudal, Maman, Mamat, Laurence Millerioux, David Moreau, les Morlins, Nobuya, Princesse Noënnec, Papa, PIF, Jérôme & Rosane Pijon-Mazer, Yann Péchin, the Pure Sins, Anne Renaud, Liliane Roudière, Céline Ruffet, Familles Salmon/Jacquemard, Sandrine ma sœur, Nicole Schluss, Françoise Serrault, Thierry Stremler, Sam Tam et Lauravoux, Tomamoulin, Laurent Thessier, Damien Truffaut, Didier Varrod, Pierre Vassiliu, Laurent Vernerey et David Zacharias.

L'idée "Avant tout, I want you" est de Jipé Nataf, comme beaucoup de bonnes idées.

Sur un album comme celui-ci, plein de gens travaillent quotidiennement chez Virgin avec un vrai entrain. Merci infiniment à tous.

lundi 1 septembre 2003

L'aventure

Septembre 2003. A minuit, après un dîner bien tranquille avec mes amis belges de passage à Anthony, je monte sur mon scooter 80 pour rentrer à Paris. Il pleut un peu. Mon projet est simple : quelques kilomètres pour rejoindre le périf que je suivrai jusqu'à la porte de Bagnolet. En suite, Gambetta, Pyrénées et hop, au lit. Temps total estimé: 30 minutes à tout casser.
Il pleut, mais heureusement je possède un poncho Go Sport. Il est un peu déchiré alors je décide de le porter devant-derrière. En l'enfilant, je le déchire un peu plus, mais il semble tenir. La capuche sur le menton, je commence à rouler et mes lunettes se couvrent de gouttes. Je vais doucement. Je n'ai rien bu, ça aide.
La pluie s'intensifie à l'approche de Paris et je peine à me concentrer sur le trajet. Porte d'Orléans, je passe sous un panneau "Bordeaux-Nantes" sans sourciller. Ce n'est qu'un kilomètre plus tard que je réalise que je ne suis pas sur le périf mais sur l'autoroute du sud. Furax, je crie "putain de merde", la pluie redouble et se transforme en grêle. Je ne vois plus rien, je m'insulte, les camions me doublent à 300 à l'heure en klaxonnant, la tempête se transforme en typhon.
Je commence à paniquer en imaginant la distance qui me sépare de la prochaine sortie (Bourg en Bresse? Mâcon?!). Passant sous un énorme pont, je profite de l'absence de pluie pour nettoyer mes lunettes avec les doigts. Alors, je vois un scooter arrêté sur la bande d'arrêt d'urgence, et un type dessus. Je me dis qu'il n'est pas con, il attend à l'abri que la pluie se calme... je décide instantanément de m'arrêter aussi. Mais j'ai déjà quitté le pont.
Là, ça se précipite. Freinage en douceur pour ne pas déraper, j'approche de la bande d'arrêt un peu vite et réalise trop tard que c'est plutôt un trottoir, c'est à dire surélevé. Comme je l'attaque de biais et non de face, comme la route est trempée, ma roue refuse de franchir le trottoir et reste dans l'ornière. Le scooter se couche. Moi aussi mais plus loin. Dans l'eau. Sous les yeux du type pas con qui ne bouge pas. Je me relève, lève le scoot et le tire vers le pont pour m'abriter, en constatant que la roue avant va à gauche lorsque je lui demande d'aller à droite. J'ai l'impression de conduire en regardant un miroir. Le type me regarde passer devant lui, nous nous faisons un signe de tête. Peut-être ne m'a-t-il pas vu tomber...
Il s'approche et me demande du feu. Sidéré, je le regarde. Yeux vides, air vide, costume, chemise blanche, oreillette, scooter 250 de cadre. Je lui donne du feu. Ma main droite me fait mal. Ah oui, elle saigne, j'ai dû freiner avec. Bon c'est rien. Le scoot... je parviens à remettre la roue dans l'axe sans problème.
Je sors une cigarette pour réfléchir, la porte à ma bouche, sors mon briquet... mais un raz de marée me trempe des pieds à la tête: un camion vient de me frôler et je suis à quelques centimètres d'une flaque géante. Je reste debout en faisant "non" de la tête. Non, ce n'est pas possible, c'est trop. Le type me dit "y a des jours comme ça...". Eh ouais, mon con. Je lui demande s'il connaît la prochaine sortie, il me dit en rigolant "Rungis", mais je ne sais pas si c'est à 3, 10 ou 40 km. Je rigole aussi. Je suis impressionné par la violence de cet endroit. Les autos et les camions, dont le son est décuplé par l'acoustique du pont, semblent se jeter sur moi avec agressivité.
Je regarde mon poncho. Entièrement déchiré, c'est maintenant une vieille bâche. Ou une ex-vieille bâche. J'oubliais, j'ai dans les poches de mon manteau un i-pod et un palm, instruments électroniques d'une grande sensibilité à l'eau. Je dois les protéger avec ma bâche. Posée comme un drap, elle se collera à moi quand je roulerai, j'espère. Je reprends la route à 20 à l'heure, frigorifié et un peu apeuré. Direction Rungis donc.
En fait, ce n'est pas si loin. Quelques kilomètres. Je sors de l'autoroute et débarque dans une sorte de port, avec des péages et des entrepôts partout. Mais pas un panneau Paris. Je me promène quinze minutes dans cet endroit splendide avant de voir une direction Creteil. C'est toujours ça. En suite, je ne sais plus bien, je m'assoupis... La francilienne, Charenton, L'hay les roses, L'autoroute A quelque chose, la porte de Bercy, le périf, la porte de Bagnolet, Gambetta, Pyrénées, et hop, merde, je boite. J'ai trois hanches dont deux du même côté. Non, elle n'est pas cassée, mais elle a doublé de volume. J'aurai un gros bleu demain et un énorme marron après demain.
Temps total : une heure trente. Distance parcourue : au moins cinquante kilomêtres.
Je me sers un whisky (je suis un aventurier) et me jette dans le canapé, c’est à dire par terre puisque je n’en ai pas.
On est bien chez soi.

Présentation 1er album par Christophe Conte



Albin de la Simone. Drôle de nom. Mais le plus drôle, c’est qu’il est vrai ! Celui qui le porte l’a hérité d’ancêtres ainsi baptisés d’après le nom d’une rivière, la Simone, qui veine quelque part le creux de l’Aisne. Voilà pour la généalogie, mais pas tout à fait pour la géologie, car on trouvera à la fois cocasse et poétique qu’un auteur-compositeur-musicien-chanteur doté d’un nom de rivière fasse équipe sur son premier album avec un réalisateur artistique nommé Renaud Létang. Entre ces deux-là, une parenté bucolique irriguée à l’eau douce mais également, avant tout, une confluence naturelle d’esprit et de ton, associant l’écriture pointilleuse de l’un et le savoir-faire pointilliste de l’autre pour donner corps (sans oublier l’âme) à une douzaine de chansons aussi séduisantes qu’inattendues.
En cherchant un peu, évidemment, on n’aura aucun mal à recomposer autour d’Albin une famille artistique de doux-dingues, de Boris Vian aux Chédid père et fils et, par lien direct, d’autres illustres histrions de la coolitude avec lesquels notre homme a collaboré durant la dernière décennie comme pianiste ou arrangeur en studio et sur scène : Souchon, Arthur H ou Mathieu Boogaerts. Entre autres. Car la carte de visite d’Albin de la Simone ressemble à une mappemonde. Angélique Kidjo, Jean-Louis Aubert, Salif Keita, Alain Chamfort ont notamment fait appel aux services de cet autodidacte venu au jazz par atavisme (son père est clarinettiste de jazz, tiens donc) mais qui n’a depuis cessé d’élargir sa gamme, moins par lassitude que par goût des rebondissements et de l’aventure.
Néanmoins, l’élan naturel qui l’a conduit de la musique instrumentale à l’écriture de chansons ne s’est pas fait en un jour. Il lui faudra même du temps, pas loin d’une décennie, pour mesurer l’élasticité infinie et les pouvoirs diaboliques de cet art faussement modeste. Les chanteurs qu’il accompagne finissent de lui en transmettre le virus : le soir venu, lorsque les « officiels » désertent les studios, lui se plaît à traîner dans les lieux pour mettre à plat quelques idées, dans le secret bien cadenassé qui est l’apanage des grands pudiques, seul au monde et aux commandes de tous les instruments. Lorsque des oreilles amies finissent par avoir vent de ces agissements nocturnes et entendent avec étonnement le si singulier résultat, les encouragements pleuvent sur les épaules d’Albin, qui se résout alors à assumer au grand jour sa nouvelle vie de baladin.
Le voilà donc, contant des historiettes sans conséquence mais nullement sans substance, pratiquant avec un certain plaisir amoral une langue mouchetée d’épines – ça gratte mais c’est pas grave - , maquillée par une voix à la neutralité inquiétante. Il dit aimer l’aspect « consommable » des chansons, leur côté bonbons, mais les siennes ont assurément plus le goût du poivre que celui du miel. On s’y pend (Ton pommier), il y a des Piranhas dans le lavabo et cachés dans les disques, on gobe n’importe quoi (Tu es là) et on frôle un à un quelques délicieux interdits (Délice, Du bon côté) avec une légèreté déconcertante. Chanteur décalé ? Oui, mais en décalage horrible, nourri au ciné-malsain de Cronenberg et aux contes cruels importés du Japon à travers les films et les livres qui le nourrissent depuis des années. Voyez l’inventaire, tel un Prévert pervers, qu’il effeuille sur Elle aime, en duo avec Feist, canadienne anglophone (ici en VF) qu’on a déjà aperçue en appât sexy aux côtés de Gonzales. Quant à l’autre duo du disque, avec un Souchon en grand prince de l’autodérision, il met en balance la barmaid Patricia, entichée d’un vieux chanteur (Alain) tandis qu’un jeune godelureau (Albin) cherche à attirer ses faveurs. D’une prose rosse, Albin brosse des situations à hurler de rire, même si ce rire menace à tout moment de virer au jaune, voire au noir. Sur l’air innocent d’une petite ritournelle, Avant tout, I want you est en l’espèce un modèle de déclaration vacharde.
Côté musique, autour du piano oblique d’Albin, c’est une fanfare méticuleuse qui avance à pas sournois, sur des cadences proches du débit parlé mais qui s’emballent aussi sans prévenir, provoquant à l’écoute cette sensation curieuse d’avoir affaire à un genre d’exotisme immédiatement familier. Une brassée de cuivres soufflent ici un vent rauque, une scie musicale laisse échapper ses ondoiements irréels, ailleurs un vieux banjo (tenu par Mathieu Chédid) bringuebale autour d’une valse, plus loin un clavecin et des chœurs pop forment comme une farandole enfantine… Partout la patte gracile de Renaud Létang et les trouvailles sonores et aromatiques d’Albin donnent de l’air et de l’allure à ces airs qui, une fois entrés dans la tête comme par une délicate effraction, menacent sans que personne ne songe à s’en plaindre d’y élire domicile pour longtemps.

Christophe Conte - 2003